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D-Day, 70 ans plus tard – Saving Private Ryan : La guerre mise en scène par le gars des vues

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Le film Saving Private Ryan (SPR) de Steven Spielberg a été mis en marché par la machine hollywoodienne en vantant la véracité des images. On pourrait ajouter que la promotion a insisté sur la capacité du film à faire vivre l’expérience du débarquement « comme si vous y étiez ». Ce film est sans contredit un des exemples les plus frappants de cette recherche de sensations de la guerre à travers des reconstitutions filmiques.

Distribué en 1998, SPR aura un impact considérable sur le type de films de guerre qui seront produits par la suite. Le film est également devenu un outil pédagogique dans les écoles secondaires, plus particulièrement dans les cours d’histoire, afin de permettre aux jeunes de saisir « la réalité de la guerre ».

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Discours idéologique

I watched the extraordinary photographed battle scenes, thoroughly taken in. Yet when the movie was over, I realized that it was exactly that – I had been taken in – and I disliked the film intensely, indeed, was angry at it. Because I did not want the suffering of men in war to be used, yes exploited, in such a way as to revive what should be buried along with all those bodies in Arlington Cemetary – the glory of military heroism. “the greatest war movie ever made”, the film critics say about Saving Private Ryan. They are a disappointing lot, the film critics. They are excited, even exultant, about the brilliant cinematography, depicting the bloody chaos of the Omaha Beach landing. But they are pitifully superficial. (Zinn, 1998)

L’historien Howard Zinn a participé à la Deuxième Guerre mondiale en tant que militaire; son commentaire cinglant sur cette production cinématographique doit donc être considéré dans cette perspective. Il formule des reproches sur la récupération scabreuse des horreurs des combats, mais surtout sur le discours du film. Pour Zinn, il n’y a pas de doute que SPR is a war movie. Not an antiwar movie ”(Zinn, 1998). Sous le couvert d’un film à grand déploiement pour dénoncer les affres de la guerre, SPR est pour Zinn une extraordinaire machine de légitimation de la guerre comme solution. L’historien a d’ailleurs écrit un article sur le sujet dont le titre était savamment intitulé: Private Ryan Saves War.

Le scénario truffé de références à des figures mythiques américaines (Abraham Lincoln, Ralph Waldo Emerson, George C. Marshall) et à des symboles américains (Alamo, Steamboat Willy, Betty Boop) légitime et cautionne cette guerre. Pour Zinn, les millions de morts sacrifiés durant cette guerre atroce deviennent tout simplement des accessoires pour justifier le monde actuel. Ces morts célèbres ou anonymes semblent cautionner cette guerre, mais aussi LA guerre au sens large. C’est le déficit de conscience sociale et d’éthique historique que Zinn déplore.

Si un film comme SPR justifie le sacrifice humain pour la « bonne cause », la guerre devient alors plus noble. Comme Zinn le rapporte, les films de cette trempe assurent la continuité d’un monde qui fonctionne selon les mêmes codes :

[…] war is not just horrible; it is futile. It is not inevitable; it is manufactured. […] The boys in the trenches don’t just discuss the battle; they discuss the war. They ask: Who is profiting? They propose: Hey, let’s have the world’s leaders get into an arena and fight it out themselves! They acknowledge: We have no quarrel with the boys on the other side of the barbed wire! Our culture is in deep trouble when a film like Saving Private Ryan can pass by, like a military parade, with nothing but a shower of confetti and hurrahs for its color and grandeur.(Zinn, 2012)

Romancer les faits historiques

Dans ce film de Spielberg, comme dans les autres inspirés d’événements historiques, des choix ont été élaborés. L’histoire qu’il rapporte est inspirée de la famille Niland. Il est pertinent de rappeler que les Niland étaient les descendants d’immigrants allemands(Churchill, 1998). Le scénariste a plutôt opté pour le nom Ryan afin de donner une origine irlandaise et chrétienne au personnage. L’évacuation des origines allemandes peut se justifier sur plusieurs plans, soit l’intention de se détacher de la véritable histoire, le désir de renforcer le sentiment d’identification du public américain, mais aussi ce choix de la production peut aussi viser à renforcer de façon manichéenne l’opposition simpliste du conflit.

D’autre part, le scénariste Robert Roday a évacué de son récit le fait que Fritz Niland, sauvé par le War Department’s Sole Survivor Policy(La politique visait à préserver le nom de famille paternel), avait été parachuté accidentellement en zone ennemie avec d’autres membres de la 101st Airborne et considéré “ missing and presumed dead » (Churchill, 1998). Cet élément peut sembler anecdotique, mais nous ne pouvons ignorer que les films qui obtiennent la contribution de l’armée doivent en retour présenter une image positive de celle-ci.

Le parachutage accidentel en zone ennemie ne doit pas figurer dans les cas que l’armée juge acceptables. L’autre frère, Pete Niland, qui fut sauvé selon la politique de l’armée américaine, a été libéré d’une prison japonaise en Birmanie par des troupes britanniques (Churchill, 1998). Bien entendu, nous savons que l’histoire du film est fictive. Toutefois, le marketing de ces productions hollywoodiennes carbure aux références historiques. Les descendants des Niland ont été invités à la première du film, et certains d’entre eux ont participé à plusieurs événements et documentaires pour différents réseaux. Leur « véritable » histoire a d’ailleurs fait l’objet de projets d’adaptation diverses. Les Niland sont utiles au marketing de l’armée et des films; mais, sur le plan factuel, les nuances semblent toujours trop complexes pour un film grand public.

La valeur d’une vie américaine

SPR a fait l’objet de critiques quant à sa validité historique. L’amalgame d’éléments historiques et de récits fictifs permet d’entretenir une certaine ambiguïté sur son contenu. Comme dans Pearl Harbor (Michael Bay, 2001) l’intensité dramatique est à son comble dans SPR lorsqu’un soldat américain meurt. Les soldats allemands abattus sont quant à eux pour la plupart sans visage, filmés d’une distance qui ne permet pas de leur prêter une personnalité, ou encore abattus sans mise en scène qui viendrait renforcer l’aspect dramatique de leur mort. Cette façon de filmer renforce dans ce genre de récit l’ “American exceptionalism ”. La mort d’un soldat américain est ainsi éprouvée d’une façon radicalement différente par les spectateurs. Alors que ce film porte sur la valeur de la vie d’un homme et jusqu’à quel point le sacrifice humain peut être justifié par une cause; en contrepartie la vie des non-Américains semble rapidement dévaluée.

C’est donc toute la question de la valeur de la vie humaine qui traverse ce film. Est-ce que le sacrifice de plusieurs soldats est justifié pour sauver la vie d’un seul homme, sous prétexte qu’il est le seul survivant d’une famille? Un sacrifice humain, comme celui de Miller, est-il défendable? Si une vie est sauvée par le sacrifice d’un autre homme, cela en valait-il la peine? Le film pose les questions et propose des réponses. Qu’un Allemand se fasse tuer semble s’excuser aisément, et la question n’est même pas envisagée. D’autre part, qu’un soldat risque sa vie pour en sauver un autre semble justifiable, à condition que cet homme s’engage à une « bonne vie » par la suite. Qu’est-ce alors qu’une bonne vie? Voilà la dernière question du film, que le réalisateur renvoie également au spectateur. Est-ce que les sacrifices humains de cette guerre reçoivent le respect auquel ils ont droit?

Miller aborde cette question de front lorsque dans l’église il discute de son combat intérieur à légitimer les pertes humaines parmi ses soldats. Miller mentionne que plus de 94 soldats sous son autorité ont perdu la vie depuis qu’il dirige des opérations. Il indique par la suite: “But that means I’ve saved the lives of ten times that many, doesn’t it? Maybe even 20, right? 20 times as many.” Sans donner sa réponse définitive, Miller motive le pari qu’est la guerre dans cette seule réplique. Il n’y a pas de réponse à cette question, mais la guerre comme le film de Spielberg prennent position sur le sujet en exposant cette seule équation pour réponse face au doute : [-94 sacrifiés = 1880 sauvés].

Miller suggère ensuite que le soldat Ryan, une fois sauvé, devra rendre à l’Amérique les sacrifices que son escouade aura faits pour lui. Le capitaine sous-entend également que certains des soldats perdus avaient une valeur plus grande que celle de Ryan : “ Because the truth is I wouldn’t trade ten Ryans for one Vecchio or one Caparzo. ” Miller explique à ses soldats que Ryan devra inventer un remède ou quelque chose d’important pour rendre les sacrifices de l’escouade: “ He’d better go home and cure some disease or invent a longer lasting light bulb or something. ” Contre toute attente, il n’évoque pas la simple « bonne vie », valeur pseudo-démocratique de la morale américaine.

La fin du film nous présente un Ryan vieilli, qui se recueille sur la tombe de son capitaine, rongé par le doute. Est-ce que sa vie a valu les sacrifices qui ont été impliqués? Il n’a rien inventé, mais derrière lui sa femme, ses enfants et ses petits-enfants offrent au spectateur l’hypothèse que sa vie n’a pas été vaine. Pour vérifier, il demande à sa femme s’il a été une bonne personne : ” Tell me I’m a good man. ” C’est sa femme qui donne la dernière réplique : “You are.” Bref, ce sont les autres qui peuvent juger de la qualité de notre vie. Qu’est-ce alors qu’une mauvaise personne? Comment Ryan aurait-il pu manquer sa vie?

Les motivations des soldats

Les films de guerre comme SPR cultivent une certaine ambiguïté chez le spectateur, quant aux motifs réels de la guerre. Bien que peu de gens ignorent aujourd’hui les plans de l’Allemagne nazie quant à la question juive, les militaires de l’époque (1944) n’étaient pas au fait de l’Holocauste juif. Les motivations des soldats durant cette guerre étaient beaucoup moins précises que les films sur cette période le suggèrent, et comme l’opus de Spielberg semble les présenter. Cette guerre, qui a hérité de la dénomination « Guerre juste » (Good War), a donc été menée à l’époque sur des principes moins définis que les films de guerre semblent l’illustrer aujourd’hui. Que savaient les soldats d’infanterie sur l’Allemagne nazie? Quelles connaissances du conflit avaient les soldats déployés dans le Pacifique? Pour Thomas A. Bruscino, assistant-professeur au School of Advanced Military Studies, le stéréotype voulant que les soldats combattaient avant tout “for their buddies in a strong spirit of comradeship” n’est pas suffisant(Bruscino, 2012). Les soldats ne prenaient pas part aux combats naïvement pour les “four freedoms” (Freedom of speech, religion, from want, from fear – discours prononcé par Roosevelt le 6 janvier 1941). L’implication des soldats sur le terrain ne reposait pas sur une vision hollywoodienne de la “democracy or patriotism or any other great cause”(Bruscino, 2012) .Par ailleurs, certains historiens suggèrent que lorsque des militaires n’ont plus la foi dans la mission qu’ils doivent mener, ils perdent également la motivation de continuer le combat(Bruscino, 2012) la réponse à cette question demeure donc complexe à cerner.

Lorsque les soldats américains ont commencé à découvrir des camps de concentration au printemps 1945, le général Eisenhower a pour sa part déclaré : “We are told that the American soldier does not know what he is fighting for. Now, at least, he will know what he is fighting again” (Bruscino, 2012). Si les soldats ignoraient au départ que cette guerre comportait des actes de barbarie semblables, le combat sur le terrain était probablement quant à lui animé principalement par une foi patriotique comme l’exposent les recherches des années 1980 et 1990 sur les vétérans de cette guerre. Par ailleurs, les souvenirs de certains vétérans sont aujourd’hui mélangés à l’information qu’ils ont acquise depuis leur participation. Il s’avère aussi difficile de départager leur conception de l’époque du souvenir qui s’est construit avec le temps.

Les films qui ont tenté de faire un portrait des soldats de cette époque ont donc joué bien souvent avec la nature réelle des sentiments qui pouvaient animer les troupes américaines. La place à l’interprétation donne aux scénaristes une latitude qui a été exploitée différemment selon les époques. Le film de Spielberg quant à lui s’emploie à renforcer la signification patriotique et d’engagement relationnel de la mission des hommes conduits par le Capitaine Miller par différents subterfuges, tout en gommant le fait que les soldats ignoraient pour la plupart les enjeux géopolitiques, voire civilisationnels impliqués dans ce conflit. Le film semble principalement faire la démonstration que les sacrifices des combattants de l’époque visaient à assurer une “chance for a good life for everyone, a life free from the evils of Nazism” (Bruscino, 2012). De ces sacrifices, et plus particulièrement celui de Miller, SPR expose l’idée que notre monde actuel est redevable à ceux qui se sont sacrifiés lors de ce conflit, et ce, à travers l’accent paradoxalement porté sur un individu « sauvé ».

La question juive 

Dans les films hollywoodiens inspirés de la Seconde Guerre, les productions ont rapidement mis en scène des bataillons américains composés de soldats aux origines ethniques diverses. Comme le mentionne l’historienne Aljean Harmetz, dans les films de guerre des années 1940, il y avait toujours un militaire juif au sein des bataillons mis en scène par Hollywood. Celui-ci n’était pas toujours présenté comme tel, mais il portait un nom sans équivoque quant à ses origines(Jacobovici, 1997). À l’époque, toujours selon les propos de l’historienne, les films présentaient des personnages juifs intégrés à l’armée, masquant ainsi la discrimination dont les Juifs pouvaient être victimes dans l’armée américaine. D’autre part l’industrie cinématographique, largement dirigée par des membres de la communauté juive dans les années 1940, tentait par ces éléments scénaristiques de renforcer l’idée de la contribution juive à la lutte contre le tyran allemand (Jacobovici, 1997).

Dès les premières séquences de SPR, Spielberg fait le choix d’introduire le personnage de James Ryan dans le cimetière en le faisant passer au second plan, avec une étoile juive au premier plan. Cette approche de la part de Spielberg n’est certainement pas fortuite. Le rappel de la Seconde Grande guerre ne se fait pas aujourd’hui sans insérer au premier plan la question juive du conflit. Le spectateur est donc appelé par ce symbole à considérer la participation juive dans les forces alliées et à connecter avec l’imaginaire de l’Holocauste. Les sacrifices pour reconquérir l’Europe ont nécessité l’engagement de personnes d’origine juive. Néanmoins, nous n’avons relevé qu’une seule autre sépulture juive dans les premières séquences de SPR.

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Mais c’est sans aucun doute dans les derniers extraits du film que les sépultures juives occupent le plus de place. Bien qu’elles soient moins nombreuses, l’effet de répétition des croix met en exergue les étoiles de David ornant les sépultures commémoratives des soldats juifs. La plupart des plans sélectionnés par Spielberg permettent de voir dans le cadre une de celles-ci. Il ne s’agit pas ici de la même sépulture puisque la caméra effectue une rotation autour de l’acteur. Nous en avons répertorié trois (de face, de dos et latérale). La présence « fantômatique » juive semble être assurée dans la majorité des plans.

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Pour sa part, le personnage de Mellish est dans SPR celui qui permet au spectateur de conserver l’Holocauste en mémoire. Certains auteurs(Ehrenhaus, 2001) ont suggéré que les films de Spielberg procèdent souvent de la même façon. Mellish est d’abord introduit dans le film comme un Américain bien intégré à la culture de son pays. Progressivement dans le film, le spectateur découvre son intérêt et son lien à la culture juive. À titre d’exemple, mentionnons la scène où Mellish récupère le couteau d’un soldat nazi mort au combat, en disant qu’il servira au shabbat. La caméra demeure ensuite sur le visage de Mellish alors que celui-ci pleure avec intensité.

Par la suite, lorsque Mellish rencontre des prisonniers allemands, il les harrangue en présentant son médaillon avec l’étoile de David attaché à ses plaques militaires. Mais le point culminant est sans contredit le meurtre de Mellish par un soldat allemand. Cette scène d’une grande intensité met en scène un corps à corps. Les deux soldats se retrouvent isolés à combattre avec leurs dernières énergies. Mellish parvient à sortir sa bayonnette, mais le soldat allemand la retourne rapidement contre lui. L’Allemand tue Mellish en lui chuchotant des mots en allemand que la production n’a pas jugé bon de traduire dans la version nord-américaine(Selon le site IMDB, la réplique “Gib’ auf, du hast keine Chance! Lass’ es uns beenden! Es ist einfacher für dich, viel einfacher. Du wirst sehen, es ist gleich vorbei » peut être traduite par: « Give up, you don’t stand a chance! Let’s end this here! It will be easier for you, much easier. You’ll see it, will be over quickly. ») Bien que l’Allemand ne fasse pas mention de l’origine de Mellish, la séquence présente une lutte intense entre les deux hommes, qui évoque l’Holocauste.

Mais la clé de cette scène, selon le critique Peter Ehrenhaus, repose probablement sur la présence passive du soldat Upham, qui demeure à l’extérieur de la salle où se déroule le combat, parce qu’il est complètement terrorisé et incapable de secourir son compatriote. Car pour Ehrenhaus, la faillite d’Upham à porter secours à Mellish peut être comprise comme une métaphore de l’inaction des États-Unis face à l’Holocauste (Ehrenhaus, 2001).Par cette scène, Spielberg confronte le spectateur aux conséquences de la lâcheté et du refus de combattre. Nous reviendrons sur les interprétations supplémentaires concernant le personnage d’Upham. C’est donc par ces éléments que la question de l’Holocauste est présente dans le film. Même si la question n’est pas abordée de front, elle n’en demeure pas moins évoquée. 

Le pactole de la Deuxième Guerre mondiale

SPR marque un tournant dans la production de films de guerre aux États-Unis. Plusieurs films et séries télévisées emprunteront l’esthétique, la structure scénaristique ou les thématiques de ce film de Spielberg. Pour A. Susan Owen, ce film est “a fully developed cinematic jeremiad, the culmination of a reclamation process in which noble sacrifice is once again articulated earnestly.” (Owen, 2002) Selon Owen, les fonctions rhétoriques de la “jeremiad”, dans la littérature américaine, sont les suivantes : “Name the convenant (the special people), make the public lamentation for a decline (a falling away from a promise) and imagine redemption (connect the past to the future)”. (Owen, 2002) Alors qu’autrefois on faisait appel aux écrits religieux pour justifier les actions, on fait désormais appel aux interprétations du passé des fondateurs du pays : “This rhetorical construction of a usable past identifies Americans as a special people with a sacred mission and appeals to secular texts of great cultural salience”. (Owen, 2002)

Toujours selon Owen, le film SPR réintroduit l’acte héroïque dans la guerre et réconcilie le public avec les valeurs d’avant-guerre :

Spielberg reunifies white, masculine identity. He (re)imagines a time before the social dislocations of mid-century movements for gender and racial equality. He restores moral authority to the modern American nation-state. Perhaps most important, he confronts and engages cultural cynicism about the legitimacy of blood sacrifice to the nation.(Owen, 2002)

La période qui a suivi la guerre du Vietnam a fait place à une période de désillusion face à la capacité des États-Unis de réinstaurer l’ordre et la démocratie. Les films qui ont abordé la guerre du Vietnam dans les années 1980 ont fait une description du chaos qui règne aussi bien sur les champs de bataille qu’à l’intérieur des bataillons. Alors que les films d’Oliver Stone, comme Platoon et Born on the Fourth of July, présentaient le soldat américain comme la victime de la guerre, SPR illustre avec le capitaine Miller une incarnation plus traditionnelle de l’homme droit prêt au sacrifice, et dont le sens des responsabilités passe avant les ambitions personnelles et les émotions. Le soldat ne peut être un lâche, il a un devoir à faire. Notons à ce sujet que Steven Spielberg a reçu pour ces films de nombreuses récompenses; il a également été considéré comme un héros de guerre par plusieurs associations de vétérans. (Hasian, 2001)

Pour Owen, le public est amené par Spielberg à voir et à vivre le récit par les yeux de Miller. À plusieurs reprises, le réalisateur représente avec des plans subjectifs les visions d’horreur dont Miller est témoin. La frontière entre la représentation et l’appareil filmique est d’ailleurs supprimée lorsque l’objectif de la caméra de Spielberg est aspergé de sang, dès les premières minutes. Par cette stratégie cinématographique, le spectateur n’est plus qu’un témoin passif. Le même modus operandi sera repris lorsque Caparzo se fait tuer par un tireur embusqué. Cette fois, c’est l’eau de pluie qui se retrouve sur l’objectif.

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D’autre part, si la mort ferme le récit de SPR, on peut toujours se rabattre sur les jeux vidéo Medal of Honor, Call of Duty et Brothers in Arms pour s’offrir quelques Allemands et « revivre » avec son avatar l’épopée du capitaine Miller et sa bande. Ces jeux offrent la possibilité d’apprendre sur le conflit, les tactiques et les armes. La machine à produire des films de guerre en série permet maintenant de mettre en marché le produit dérivé par excellence : l’immersion totale dans l’action, ce que la chercheuse Eva Kingsepp nomme le “remediation film videogame”. (Kingsepp, 2012)

L’anti-intellectualisme

Le personnage d’Upham est porteur d’un discours sur la guerre. Seul véritable intellectuel parmi les soldats de l’équipe de Miller, ses agissements seront pourtant désavoués tout au long du récit. Ce personnage polyglotte, fort utile, est par ailleurs réduit à la caricature d’intellectuel lâche face à la guerre. Présenté comme maladroit et lâche devant l’adversité, comme nous l’avons exposé plus tôt avec la scène du meurtre de Mellish, il s’avère aussi distrait (il confond un casque allemand avec celui des Américains) et lent à comprendre les blagues.

Mais la lâcheté et le manque de jugement d’Upham sont aussi illustrés par son insistance à faire libérer le prisonnier après l’attaque de la station radar. C’est par cet acte, à première vue noble, que le spectateur tirera une leçon importante du film sur les lois de la guerre. C’est en effet ce prisonnier libéré sur l’insistance d’Upham qui tuera le capitaine Miller. Visiblement, le récit nous apprend qu’il n’y a pas, en temps de guerre, d’ennemis moins pernicieux que d’autres. Upham venge tout de même la mort de Miller en tuant quelques instants après le soldat allemand prisonnier. Cette scène, une fois de plus, met l’accent sur la perception de la situation par le soldat américain. Choisissant de faire mourir le soldat allemand en hors-champ, Spielberg retire du cadre le meurtre pour ne laisser à la vue du spectateur que la culpabilité d’Upham face à Miller. Pour certains, Upham semble responsable de la mort de Miller.

Transmission intergénérationnelle (mâle)

Dans le film SPR, la lettre écrite par le soldat Caparzo est ensuite récupérée par Wade après son décès. Il retranscrit la lettre dans l’église où les soldats font une pause afin d’en avoir une copie exempte de sang (il faut aussi effacer le sang du défunt). À la mort de Wade, c’est Miller qui la prend et finalement, à son décès, c’est Reiben qui prend la lettre. Cette lettre dont le contenu n’est pas révélé est destinée dans le film de Spielberg au père de Caparzo. Au-delà de la mort, les mots de Caparzo parviendront à son père.

SPR est teinté par l’idée de passation d’une lettre d’un fils à son père. Les soldats morts sont relayés par d’autres, qui assurent que la lettre se rendra au destinataire. Tout le film peut être interprété comme un message de gratitude envoyé aux pères qui ont combattu.

Pour certains, le patriotisme dont fait preuve le film mine en quelque sorte le message d’héroïsme dont se pare la morale du film :

As a parable of this nation’s World War II sacrifices, the story would be truer to what the GIs deserve being honored for if Ryan were a European. Then again, Saving Monsieur Renault might not have gripped the modern Stateside audience: Who cares about some damn snail eater? Instead, in a way that’s both solipsistic and tautological, saving the world gets redefined as saving ourselves – which must mean we are the world. It isn’t lack of patriotism that makes me despise the simplemindedness of the coda’s blessing on America – the wife’s affirmative answer when the aged Ryan asks, « Have I led a good life? » which symbolically validates our history in the fifty far-from-irreproachable years since World War II.(Carson, 2012)

Comme le souligne le critique Tom Carson, ce patriotisme exacerbé par les pirouettes esthétiques de Spielberg renforce chez le spectateur l’idée que l’acte de guerre est mû par les valeurs les plus nobles. Le finale présente la mort à la guerre tel un acte héroïque comme durant la prériode des films de propagande et des films d’après-guerre. L’esthétique de Spielberg récupère les modus operandi des films de guerre en noir et blanc qui ont marqué les années d’après-guerre. Toujours selon Carson, SPR ne peut être considéré comme un film anti-guerre :

[…] to call this an antiwar movie is lunacy; if I were seventeen, I’d have left the theater with a woody to enlist. Ryan’s ending elevates a gallant death into the noblest of romantic destinies while transforming the grim necessity of defeating the Axis from a past test of national resolve – which indeed we did meet – into a mystical summons to future greatness: “Earn it”. (Carson, 2012)

Le film lui-même, de par son traitement dichotomique entre Américains et Allemands, expose une simplification de la guerre. La brigade américaine ne croise pas de Canadiens ou de Britanniques, laissant l’impression que les Américains sont les seuls à opérer dans la France occupée. Et les Français? Une seule famille croisée durant leur mission. Comme nous l’avons déjà mentionné, le traitement des Allemands est également simplifié à l’extrême. L’Allemand relâché par Miller, sous l’insistance d’Upham, sera finalement le responsable direct de sa mort. La guerre c’est la guerre; l’uniforme détermine le code moral de l’individu. À ce sujet, Tom Carsony voit une vision radicale et fascisante : 

[…] the enemy is shown as lice to be exterminated – people who deserve ordinary decency, because they’ll only use it against you – and noncombatants are painted as insignificant, if not unworthy. Honestly, I can’t see much that Hitler would have wanted changed in SPR, except the color of the uniforms. (Carson, 2012)

Éléments religieux

Comme dans plusieurs films américains produits par les grands studios, on retrouve les caractéristiques générales du héros christique. La mort du capitaine Miller qui, dans son dernier souffle, exprime à Ryan le désir qu’il « mérite sa vie » est sans contredit porteur de l’idéologie chrétienne. Le sacrifice du héros est d’autant plus grand que ce Miller présenté comme un héros de guerre est en fait un enseignant de l’Amérique profonde. Alors que leur mission consistait à retrouver un homme, ils accompliront en supplément la tâche de contrer l’avancée des forces allemandes.

Pour Tom Carson, la figure christique se retrouve plutôt dans le personnage de Ryan. Le film illustrerait la fantaisie ultime américaine qui reposerait sur le fait qu’une bonne dose de courage et une artillerie adaptée « prevent the crucifixion, letting Jesus move to the suburbs and, in old age, take the kids on sentimental journeys back to Golgotha ». (Carson, 2012)

Les noms des personnages semblent porteurs d’une signification religieuse. Tout d’abord le capitaine John Miller. La figure de Jean (John) chez les protestants en est une importante; d’autre part, le nom de famille Miller peut être traduit par meunier ou minotier. Le meunier est celui qui fabrique la farine, et donc par extension le pain. De par la nature du personnage de Miller, qui est à l’issue du film le sacrifié ultime, l’analyse de son nom n’est peut-être pas sans signification. Bien qu’ils soient des prénoms d’usage courant, ceux de James Ryan et de ses trois frères sont également d’inspiration chrétienne : Thomas, Peter et Daniel.

Le personnage le plus imprégné d’éléments religieux est très certainement Jackson. Ce soldat est d’ailleurs introduit dans le film alors qu’il embrasse la croix à son cou, en psalmodiant des prières, avant d’être débarqué sur la plage d’Omaha. Avant chaque tir, Jackson récite ses prières:

God, grant me strength.

Blessed be the Lord my strength that teaches my hands to war and my fingers to fight.” [Il en tue deux]

My goodness and my fortress. My high tower and my deliverer.” [Il en tue deux autres]

My shield and He in whom I trust.

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Ce tireur d’élite recourt tout au long du film à des prières afin de s’assurer d’atteindre ses cibles. Récitant des prières avant de toucher sa cible, Jackson donne l’impression d’être guidé par une force métaphysique. La bataille finale, opposant le bataillon de Miller aux troupes allemandes, présente une mise en scène quasi mystique de ce tueur d’élite. Tout d’abord, Jackson est positionné dans le clocher d’une église, d’où il peut facilement repérer et neutraliser l’ennemi. Les différents plans de Spielberg nous le présentent en contre-plongée.

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La statue à l’avant de l’église rappelle, quant à elle, la Statue de la liberté. Comme le présente Owen, Jackson fait une prière tirée des Psaumes de l’Ancien Testament où “Jehovah’s chosen people sought divine intervention in contests of lethal force”. (Owen, 2002) Une fois la prière récitée, Spielberg recourt au plan subjectif pour placer le spectateur dans la peau de Jackson. Les tirs de Jackson semblent “clean; his shots are precise, his enemies die instantly, through not bloodlessly”.(Owen, 2002)

Lorsque Jackson commence à douter et que les événements se précipitent, il semble perdre confiance. Le canon du tank allemand monte progressivement et tire sur le clocher de l’église, tuant Jackson sur le coup.

Durant le récit, les soldats trouvent refuge dans une église afin de prendre un peu de repos. Le ton de cette scène tranche avec les scènes précédentes. Pendant que les soldats échangent des souvenirs de leurs mères, Horvath et Miller ont un entretien à voix basse. De son côté, Wade retranscrit la lettre de Caparzo. Éclairés à la chandelle, avec le grondement des explosions à l’extérieur, l’église donne l’impression d’être un endroit retiré du monde et de la guerre. Il est fréquent dans les films américains que des soldats trouvent refuge dans des églises, parfois des églises en ruine et même sans toit, comme dans The Patriot.

Parlant à voix basse, Miller aborde la question dont nous avons précédemment traité, soit du nombre de soldats qu’il a perdus sous son commandement. Le capitaine se rappelle aussi les bons souvenirs passés avec ces soldats maintenant décédés. Lorsque Miller termine son laïus, Horvath ponctue le tout d’un “Amen”. La question de l’importance du respect à vouer aux soldats morts est également évoquée alors que le bataillon de Miller fouille dans les plaquettes de militaires morts afin de retrouver celle de Ryan. Offensé par le peu de respect dont les soldats font preuve avec les plaquettes, un soldat les rappelle à l’ordre.

Un des éléments clés du personnage de Miller est qu’il est régulièrement pris de tremblements durant sa mission. Nous avons noté qu’ils sont apparents, et soulignés par Spielberg à quelques occasions. Les lieux où Miller les vit nous semblent porteurs d’une signification en lien avec la mise à l’épreuve de la foi du personnage. Miller se met donc à trembler lors du débarquement, lorsqu’il tente de prendre des repères avec une boussole et une carte, dans l’église et près de la station radar où il éclate en sanglots à l’écart de son contingent. Un peu plus tard, la scène de tremblement de Miller près du radar est construite de façon à mettre en évidence le radar, et le ciel; tournée en contre-plongée, celle-ci présente un Miller affaibli et désemparé. Sanglotant et tremblant de la main, Miller semble vouloir évacuer ses craintes à l’écart de son équipe. La séquence de la main apaisée de Miller au moment de son décès vise probablement à renforcer l’impression d’apaisement chez le spectateur. C’est à sa mort, et après l’arrivée des renforts américains, que le réalisateur insiste pour nous montrer qu’il ne tremble plus. Pour souligner qu’il est apaisé? Qu’il ne doute plus?

Autre manifestation de religiosité, c’est d’une Bible que le général George C. Marshall sort la lettre de Lincoln adressée à la mère qui a perdu ses fils. Mais c’est peut-être la réplique d’Upham, dans la scène où les soldats trouvent refuge dans l’église, qui résume le mieux la teneur religieuse du film SPR lorsqu’il cite la Bible (Romains 8,31) : “If God be for us, who could be against us? ” Avec une réplique semblable, tout semble avoir été dit…

L’Amérique idéalisée

Lorsque les personnages racontent les États-Unis, ils emploient des images qui dépeignent les aspects traditionnels. Mises à part les séquences dans les bureaux militaires, dont la localisation n’est pas toujours précisée, les seules images que le film nous révèle des États-Unis sont celles de la terre de la famille Ryan où la mère apprend le décès de ses fils. Dans une contrée paisible, au bout du champ, repose la maison familiale des Ryan. Pas d’industrie, pas de ville, les États-Unis sont en paix et attendent le retour de ses fils. Les couleurs lumineuses contrastent également avec les teintes des séquences de guerre.

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Les autres références aux États-Unis sont tirées des dialogues : Ryan parlera de souvenirs avec ses frères à la ferme; Wade, de sa mère qui le regardait dormir et Miller raconte que pour se rappeler de sa femme il pense à elle dans le jardin, s’occupant des rosiers. En fait, le pays est bien loin de cette guerre et les souvenirs des hommes accentuent le contraste de l’horreur de la guerre. Les États-Unis apparaissent paisibles, luxuriants et surtout habités par les mères et les femmes. La mère patrie manque aux fils expédiés outremer.

Miller suggère dans le film qu’il se sent à ce point dénaturé dans son rôle de guerrier, qu’il craint que sa femme ne le reconnaisse pas : “I just know that every man I kill, the farther away from home I feel. ” La guerre est ici présentée comme ayant un potentiel de transformation profonde de l’individu, mais surtout que la nature de l’Étasunien est fondamentalement pacifique. C’est la guerre qui transforme le soldat; le citoyen des États-Unis est, en tant que tel, bon et dénué de sentiments agressifs. Selon Edgar Morin dans son livre L’homme et la mort, la machine de guerre s’oppose à toute réflexivité individuelle; c’est cette machine qui transforme le capitaine Miller en guerrier.

Saving Private Ryan offers redemption from the Vietnam syndrome through re-invention of a pre-Vietnam and pre-nuclear American democratic ethos – unshaken by foreign and domestic policy disasters or the unlikely American identity politics that emerged out of the « civil » wars of race, gender, and sexuality.(Owen, 2002)

Lorsque le prisonnier allemand tente de convaincre les soldats de ne pas l’exécuter, il essaie de les amadouer en leur débitant tout ce qu’il aime des États-Unis en le chantant en partie sur l’air de l’hymne national américain : “Please I like America. Fancy shmancy! What a cinch! Go fly a kite ! Cat got your tongue! Hill of beans! Betty Boop. What a dish. Betty Grable. Nice gams. (Chantant) « I say you can see. I say you can see. » Fuck Hitler! Fuck Hitler!

Pour Owen, les stratégies de Spielberg dans SPR visent à permettre le rétablissement du sens du sacrifice et de la reconnaissance pour ceux qui l’ont fait. Toutefois, par les procédés employés, Spielberg élude une partie de l’horreur inhérente à la guerre. Ce faisant, la mise en scène pour justifier le sacrifice est partielle. Une représentation plus complète, voire totale de la guerre aurait nécessairement pour conséquence de déstabiliser ce qu’Owen nomme l’“ideological claims to « just war »”. (Owen, 2002)

Le finale du film donne pratiquement à penser que la guerre est finie. Peu d’éléments permettent de croire que les combats vont se poursuivre. Une fois de plus, cet épisode de la guerre se termine sans mise en contexte. Dans le roman inspiré du film, il est mentionné que les soldats retournent au combat après avoir porté la dépouille de Miller à l’écart. Un peu comme dans le finale de Sand of Iwo Jima (Allan Dwan, 1944), dont SPR est inspiré, les combattants se lancent dans le brouillard pour la suite de la guerre; SPR nous laisse dans la brume quant à la suite du conflit.

Conclusion sur Saving Private Ryan

At least in the near future, it looks as though the vast majority of viewers will be content to celebrate the film as an example of American martial prowness, an illustration of how the aberrant memories of Vietnam are outweighed by the normality of the Good War. […] Defending the movie against intellectual critics becomes a performative exercise that ritualistically displays one’s patriotism. In this America, we have better not see any more Uphams. (Hasian, 2001)

Ce film de Spielberg a fait école. Distribué en 1998, il a sans contredit influencé les films de guerre du genre. Les séries Brothers in Arms et Pacific ont été produites par la même équipe et elles ont connu un succès public important. Des films comme Pearl Harbor, The Patriot (Roland Emmerich, 2000), We Were Soldiers (Randall Wallace, 2002) portent également l’empreinte de SPR à différents titres. Le commerce des films sur la Deuxième Guerre mondiale a été florissant dans la période qui a suivi SPR. Ces films n’étaient pas de qualité égale, mais l’influence de celui de Spielberg y était présente, que ce soit dans l’oeuvre ou dans les stratégies de mise en marché.

Pour Stephen Prince, professeur d’History, Criticism and Theory à Virginia Tech, “the medium subverts the goal”. Malgré toutes les intentions de Spielberg pour capter le réel de la guerre, ses réflexes esthétisants de cinéaste nuisent à ses efforts :

Spielberg and cinematographer Janusz Kaminski used a number of unusual techniques to get the striking, vivid, and unexpected visual qualities of that film’s battle scenes. For some shots, they employed a shutter set at 45 and 90 degrees, instead of the more usual 180-degree configuration, in order to pixelate the action. They stripped the coating off the lenses to flatten contrast and get a foggy but sharp look. […] They used a Clairmont camera Image Shaker to produce horizontal and vertical shaking of the camera, and they flashed the film to desaturate the color […] These effects made the battlefield carnage more vivid, but they also supplied the visual effects that the viewers could use to create some emotional and cognitive distance from depicted violence. These techniques gave the violence an elaborate and explicit aesthetic frame, which was intensified by the picture’s narrative of heroism and moral redemption. The violence was not raw, that is, it was not “real”. It was taged for the cameras and filtered through the various effects and techniques employed by the filmmakers. By contrast, when screen violence lacks this aesthetic dimension, its evocation of negative emotions can be markedly unpleasant for viewers.(Prince, 2000)

Ce n’est pas que dans la rhétorique que le cinéma est présenté comme une arme de guerre des films comme SPR sont aussi vendus dans des boîtiers de collection qui rappellent l’esthétique des cartouches de fusils de l’époque. Doit-on y voir un emballage quelconque ou une métaphore du pouvoir du cinéma? En somme, un film comme SPR n’a rien de rassurant quant aux valeurs et à la moralité de son contenu. La fusion de la religion, de l’armée, de la guerre, du patriotisme et de l’honneur a rarement donné des résultats bénéfiques pour l’histoire.

La position de repli de l’escouade de Miller est baptisée “Alamo”. Tous les symboles de l’Amérique sont fusionnés dans ce film afin de renforcer la position face à cette guerre. Lincoln, la Bible, Dieu, Alamo, le général Marshall; les références du scénario sont nombreuses et supportent le discours univoque sur la notion de sacrifice. Comme le suggère Christopher Sharrett, professeur de Communication and Film Studies à la Seton Hall University :

[…] with its last stand that evokes the Alamo, is another sentimental valorization of sacrificial violence within the fractious climate of postmodernity. Spielberg’s much praised film offers a nostalgic image of Norman Rockwell America, with windmills perched on waving fields of Iowa grain, an uncontentious America preserved by the sacrifices of the Good War. The American flag that fills the screen at the prologue and coda is more weathered than the one that opens Patton (1970), but the point cannot be missed: while doubt has long since set in about the capitalist system and the state that supports it, we cannot doubt the restorative function of sacrificial slaughter in recasting the national myth and in making us redouble our efforts at keeping things as they are in memory of all who have died for us. The dying Capt. Miller (Tom Hanks) tells Private Ryan (Matt Damon),“Earn this,” earn the right to survive by being a straight-laced American, an admonition fully answered in the military cemetery finale. (Sharett, 1999)

     Ce film passe encore aujourd’hui comme un modèle d’authenticité sur les horreurs de la guerre. Derrière le souci de réalisme qui passionne les érudits et les passionnés des guerres, il y a surtout la puissance évocatrice et esthétisée d’une mentalité guerrière. Sous le couvert d’un film « réflexif », Spielberg balance les clichés des films de guerre de la période propagandiste hollywoodienne : sacrifice pour la patrie, drapeau étatsunien, instrumentalisation de la religion au profit de la guerre, etc. Comme nous l’avons mentionné en introduction, ce film est présenté encore aujourd’hui dans les cours d’histoire; son aspect réducteur du message se mesure à l’empreinte qu’il laisse dans l’esprit des adolescents. La Deuxième Guerre mondiale suscite chez plusieurs spectateurs des souvenirs bien personnels et douloureux; pour certains, elle déclenche dans leur esprit la projection de bobines en noir et blanc tirée des nombreux documentaires; pour d’autres, c’est le capitaine Miller dans SPR.

Le soldat Ryan étant expressément sauvé sous l’ordre personnel du chef de l’armée américaine, le général Marshall est plus qu’un baume pour la famille. C’est un baume pour l’Amérique et le spectateur qui vient de traverser cette guerre en un peu plus de deux heures. Pendant que le général se montre honorable et vertueux à porter secours à ce fils de l’Amérique, des contingents américains débarquaient par milliers dans l’enfer de cette guerre. C’est peut-être l’illustration la plus éloquente de l’expression “FUBAR” des soldats de Miller pour décrire leur mission : “Fucked Up Behind All Recognition”. Occupé à voir un sauvetage héroïque, le spectateur est distrait de la mort de milliers d’hommes en hors-champ.

 

Bruscino, Jr, Thomas A., “Remaking memory or Getting it Right? Saving Private Ryan and the World War II Generation”, http://www.michiganwarstudiesreview.com/2010/20100302.asp, (29 septembre 2012).

Carson, Tom, “The screen: and the Leni Riefenstahl award for Rabid Nationalism Goes to…”, http://www.esquire.com/features/the-screen/Riefenstahl-Nationalism-0399, (29 septembre 2012).

Churchill, Ron, “Saving Private Ryan a real life drama”, Volume 30, Number 2, 3 September 1998, http://www.buffalo.edu/ubreporter/archives/vol30/vol30n2/n3.html, (29 septembre 2012)

Ehrenhaus, P., “Why we fought: Holocaust memory in Spielberg’s Saving Private Ryan”. Critical Studies in Media Communication, 2001, 18 (3), p. 321-337.

Hasian, M., Jr. “Nostalgic longings, memories of the “Good war”, and cinematic representations in Saving Private Ryan. Critical studies in Media communications, 2001, No.18, p.338-358.

Jacobovici, Simcha, Elliot Halpern and Stuart Samuels, Hollywoodism: Jews, Movies, and the American Dream, États-Unis, 1997, 98 min.

Kingsepp, Eva, “Apocalypse the Spielberg Way: Representations of Death and Ethics in Saving Private Ryan, Band of Brothers and Videogame Medal of Honor”: Frontline, http://www.digra.org/dl/db/05150.04196, (29 septembre 2012).

Owen, A. Susan, “Memory, War and American Identity : Saving Private Ryan as Cinematic Jeremiad”, Critical studies in Media Communication, Vol.19, No.3, 3 September 2002, p. 249-282.

Prince, Stephen, (dir. publ.), Screening Violence, Piscataway,: Rutgers University Press, 274 p.

Sharrett, Christopher, Mythologies of Violence in Postmodern Media, Wayne State University Press, Detroit, 1999, p. 416

Zinn, Howard, “Saving Private Ryan, Social Justice, Vol.25, No. 3, Automne 1998.

Zinn, Howard, “Private Ryan Saves War”, http://www.thirdworldtraveler.com/Media/PrivateRyan_War.html, (4 mai 2012).

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Exposition sur les effets spéciaux au cinéma

Expo effets spéciaux

La Cinémathèque présente une exposition extraordinaire sur l’art des effets spéciaux au cinéma. Présentée à la salle Raoul-Barré de la Cinémathèque (335, boul. Maisonneuve Est), cette exposition retrace l’histoire des effets spéciaux à travers des exemples tirés du cinéma fantastique, mais aussi de films d’autres genres cinématographiques. Secrets et illusions: La magie des effets spéciaux présente des pièces conçues pour des classiques du cinéma hollywoodien, international et québécois. Le parcours de l’exposition permet de visionner des entrevues avec les maîtres de l’illusion, des réalisateurs et des maquilleurs. Il y a plus de cent ans, Georges Méliès a fait des trucs extraordinaires en découvrant les possibilités de la pellicule film. C’est maintenant par ordinateur qu’on travaille la pellicule et l’illusion est tout aussi efficace pour le spectateur. Si le cinéma a toujours recouru aux illusions en tout genre, cette exposition présente les différentes applications qu’on peut en tirer: neige artificielle, animation image par image, monstres, effets numériques, capteurs de mouvements, etc. Les Québécois sont aujourd’hui reconnus pour leur expertise dans le domaine et plusieurs blockbusters américains portent la signature de ces artisans. L’exposition a beaucoup plu aux deux critiques de cinéma fantastique de 11 ans qui ont pu la parcourir, on peut donc initier le jeune public avec Secrets et illusions: La magie des effets spéciaux. C’est gratuit. On peut aussi combiner cette visite avec une exposition sur l’histoire de la télévision. http://www.cinematheque.qc.ca/fr/secrets-et-illusions-la-magie-des-effets-speciaux

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Superman: L’homme d’acier, un film truffé d’analogies christiques

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La nouvelle mouture du mythe de Superman réalisée par le réalisateur Zack Snyder carbure aux analogies christiques. On sait depuis longtemps que les films produits par Hollywood recourent à des schémas bien définis: structure narrative qui implique une nécessaire lutte finale entre le bien et le mal, passage obligé à lier le héros à la nation américaine, film qui se termine par le levé du soleil sur la cité apaisée, le héros qui trouve sa force et ses valeurs dans l’Amérique profonde. Les films de genre ont leurs codes et le film de science-fiction n’y échappe pas. La nouvelle vague de films de super-héros qui fracasse des records films après films (The Advengers, Ironman, Batman, etc.) récupère plusieurs éléments de la tradition chrétienne. Le film de Snyder agace par la multitude de plans oû Superman semble veiller sur le monde du haut du ciel, Superman les bras en croix, l’âge du héros qui est souligné à grand traits (33 ans) et les références à sa destinée qui lui commande de sauver le monde et à affronter le mal dans un duel violent pour faire triompher le bien.

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Bien entendu, ces références christiques vont échapper au jeune spectateur de 13 ans qui découvre le célèbre super-héros à cape. Peut-être que les spectateurs plus âgés ne s’étonneront pas non plus de cette iconographie chrétienne. Mais ces divertissements de masse renforcent les messages chrétiens américains qui juxtaposent des concepts détournés: Justice, États-Unis, Super-héros blanc, Sauveur et Élu envoyé du ciel. Il n’y a rien de mal à aimer ces films, à consommer ces films qui reposent sur des structures sans surprise. Mais il faut aussi y reconnaître une forme de colonisation des esprits par la propagande religieuse américaine que Hollywood s’emploie à remodeler avec des hommes en collants, un barbu équipé d’un marteau ou tout autre personnage aux couleurs du drapeau américain (Spiderman, Capitaine America, Optimus Prime).

Pour en apprendre un peu plus sur le personnage au fil des époques: http://www.radio-canada.ca/emissions/medium_large/2011-2012/chronique.asp?idChronique=297960

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Princesse Merida de Disney modifiée

Merida transformée selon les diktats de Disney

Disney a couronné officiellement la princesse Merida du film d’animation Brave (Rebelle en traduction française au Québec). Cette cérémonie qui s’est tenue samedi dernier visait à consacrer Merida comme la 11e princesse de Disney. Toutefois, comme le rapporte le site The Hollywood Reporter http://www.hollywoodreporter.com/news/brave-director-slams-disney-redesign-521465, plusieurs modifications ont été réalisées pour que le personnage corresponde aux critères de beauté de Disney. La co-réalisatrice et scénariste du film Brenda Chapman raconte dans une entrevue comment l’entreprise Disney a fait pression pour qu’on apporte des modifications au personnage: http://www.marinij.com/millvalley/ci_23224741/brave-creator-blasts-disney-blatant-sexism-princess-makeover

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La fin du monde dans le cinéma US

Revue sur le cinéma 24 images

Ce numéro de la revue 24 images aborde la question du cinéma findumondiste américain. http://www.revue24images.com/kiosque.php